dimanche 15 mars 2009

23 - Le rallye devient un raid


Il est 6 heures. J’ouvre les yeux et je me sens en pleine forme grâce á la nuit réparatrice que je viens de passer. Je réalise que les concurrents ont pris le départ de la spéciale les conduisant de Puerto Madryn sur la côte atlantique, jusqu’á Jacobacci 700 kms plus á l’ouest, en direction de la cordillère des Andes. Je me rends á la salle à manger pour avaler un café.

Je suis hors course. La logique voudrait que je rejoigne Buenos Aires directement tel que le stipule le règlement. Ors, tous mes vêtements de rechange sont dans le camion d’assistance et je ne me vois pas débarquer sans vêtements décents dans cette grande métropole où j’ai l’intention de passer quelques jours pour attendre le rallye á son retour. Il faut donc que j’aille d’abord á la rencontre du rallye pour récupérer mes effets personnels.

Je reprends donc une piste en direction de Jacobacci. Il n’y a pas de trafic mais je sais que le vieux Toyota d’ASO est derrière moi. Je ne serais pas seul en cas de problème mécanique. En fin de matinée, une KTM 900 me double. Le pilote me salue de la main. La moto est chargée comme une mule. Les nombreux autocollants sur les sacoches et la carrosserie témoignent que ce gars là a dû pas mal barouder. Quelques kilomètres plus loin, le voyageur immobilise son engin sur le bas côté de la petite route désertique. Je décide de m’arrêter pour le saluer. Je suis seul depuis quelques heures et j’ai envie de faire un brin de conversation.

J’apprends que mon nouvel ami est Brésilien. Il est venu de Sao Paulo spécialement pour suivre le rallye. Avec l’équipement qu’il transporte, il est totalement autonome, bien qu’il lui faille prendre ses douches dans les stations services. Le contact est très facile. Il me propose de faire un bout de chemin ensemble jusqu’á l’intersection qui conduit á Neuquén. Nous roulons á un rythme régulier, presque monotone, entre 110 et 120 km/h. Ma Yamaha 450cc tient très facilement la cadence, bien que deux fois plus petite que le bicylindre Autrichien de mon acolyte. Il faut dire que la transmission secondaire a été modifiée pour donner plus d’allonge. D’autre part, je voyage léger. Je n’ai aucun bagage à transporter. Pour la première fois depuis le début du rallye, je conduis assis. De temps en temps, je change de position pour soulager les parties pas assez charnues de ma personne.

A la croisée des chemins nous nous arrêtons dans la seule station service de la région. Il m’indique qu’il est 14 heures, ce qui correspond exactement á l’heure se sa sieste quotidienne. Il a choisi de s’allonger sur le bord d’une petite rivière qui coule plus bas. Certes, j’ai un peu sommeil aussi mais je n’ai pas envie de perdre trop de temps. Je préfère dormir une heure tout au plus sur l’asphalte au pied de la moto. Je pensais être sans contrainte, mais au vue du style de vie de ce brésilien solitaire, je m’aperçois que je suis encore préoccupé par les horaires et les distances, pas assez toutefois pour rester en course, mais trop pour profiter de cette merveilleuse parenthèse de liberté qui s’ouvre devant moi depuis ce matin.
Alors, pour m’investir á fond dans cette escapade involontaire mais très agréable, je prolonge ma sieste de deux heures, décidé á rejoindre Neuquén par la route plutôt que de continuer vers Jacobacci par la piste. Il faudra pour cela que je passe une journée de plus avec les vêtements de course que je porte depuis la veille, mais quelle importance ?

A mon réveil, une voiture est garée juste á côté de moi. J’ai l’air d’un vagabond. Le chef de famille souhaite être pris en photo avec moi et sa petite fille. Je remarque alors dans le véhicule un jeune homme qui nous regarde intensément. Son père m’explique qu’il a un handicap très lourd depuis la naissance. Je lui propose de faire une photo avec Felipe. Je sens bien qu’il n’osait pas me le demander car l’homme prépare instantanément le fauteuil puis installe son fils á bord. Le gamin me sourit et m’adresse la parole. Seule sa tête est mobile. Le reste de son corps est complètement atrophié. Je retire mon maillot Yamaha que je lui offre, m’excusant pour la saleté du tissu. Il semble vraiment heureux de ce cadeau. Son père pleure. Felipe me promets de parler de notre rencontre sur son site web qu’il met á jour lui-même, site web sur lequel il parle aussi de son association et de sa maladie. J’ai perdu la carte et le regrette bien. De mémoire, cette association catholique était en contact direct avec le Canada où cette maladie semblait être très connue.

En fin d’après midi, j’arriverais á Neuquén sous les acclamations d’une foule étonnée que le rallye arrive avec un jour d’avance. Certains pensent même que je viens de coller 24 heures á Marc Coma.

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