vendredi 3 avril 2009

31 - Mon ami Gabriel Bottazzini


De toutes les rencontres que j’ai eu la chance de faire sur le rallye, celle avec Gabriel Bottazzini a été certainement celle qui m’a le plus touché.

Bien que nous fassions tous les deux partis de l’équipe MecaSystem, je ne prête pas attention à cet Argentin quadragénaire durant la journée de mise au point à Buenos Aires. Je concentre mon esprit sur les derniers aspects techniques à régler. Entre l’installation des antennes de communication et du support GPS, je passe beaucoup de temps avec les mécaniciens. D’autre part, Gabriel est très timide, ce qui ne favorise pas les échanges spontanés.

Au fil des jours, je découvre peu à peu le personnage à travers les longues conversations que je peux avoir avec Gonzalo, son mécanicien Uruguayen. Gonzalo a du temps libre car Gabriel n’arrive jamais avant la nuit. Les anecdotes et les moqueries vont bon train, sans aucune méchanceté toutefois. Nous rions des blagues et des scénarios surréalistes que nous inventons à son sujet. Pendant ce temps, Gabriel roule toujours. Il avance à pas de fourmi certes, mais il avance. Finalement, il finit par arriver et la même histoire se répète. Tout d'abord, Gonzalo lui enlève ses bottes et sa veste car Gabriel n’en a plus la force. Puis il l’envoie manger un morceau avant qu’il ne s’endorme pour les deux ou trois heures avant le départ suivant. Profitant du coma profond de son poulain, Gonzalo fera la vidange d’huile, effectuera quelques réparations sommaires et terminera par la préparation du road book qu’il installera sur la moto.
Il est 5 heures du matin à Mandoza. Je me retrouve face à face avec Gabriel pour le petit déjeuner. Cela fait à peine deux heures qu’il est arrivé. Il a l’air d’un somnambule mais le sourire radieux qu’il affiche me fait oublier que c’est un homme au bout du rouleau que j’ai en face de moi. Je lui fais part de mon admiration devant son courage.
- Gabriel, comment peux tu tenir à ce rythme ?
- Ne t’inquiètes pas Pierre, à chaque fois que je tombe j’en profite pour dormir. Là où je tombe je dors,… et je tombe 20 fois par jour.
Et de rajouter en plaisantant
- Je n’ai pas besoin de mécanicien parce que je ne casse rien à cette vitesse. Il me faut juste un valet pour m’habiller et me déshabiller.
Cette conversation authentique est assez drôle mais sur le coup je ne ris pas du tout. Je suis scotché par sa réponse.
- Gabriel, de tous les pilotes c’est toi mon héros. C’est incroyable ce que tu fais.

Il ne dit plus rien. Il est touché par ces mots. Le soir à Valparaiso, j’apprendrais par la bouche de Gonzalo qu’il est revenu au bivouac les larmes aux yeux. Puis, il a abandonné le même jour au pied de la cordillère des Andes du coté argentin. D’après Gonzalo, se sont mes paroles qui lui ont fait prendre cette décision. Je me sens extrêmement coupable et triste à la fois. Gonzalo me rassure en me signifiant qu’il était vraiment fatigué et que cela devenait très dangereux. Les mots étaient ceux qu’il attendait pour que l’on reconnaisse son mérite.

Si un jour vous passez par Buenos Aires et que vous ravitaillez en essence chez Shell, il y a de fortes chances pour que vous tombiez sur lui. Vous le reconnaitrez immédiatement parce qu’il transpire la bonté. Il n’y a pas une ride de malice chez lui. Il est prévu que je reparte m’installer avec ma famille en Amérique du Sud début 2010. Je sais d’ors et déjà que j’y retrouverais mon nouvel ami, Gabriel Bottazzini.

mercredi 1 avril 2009

30 - Les spéciales neutralisées





L’étape du jour consiste en une grande boucle dans les dunes autour de Copiapo. Les parents des frères Prohens sont venus saluer le team les bras chargés de raisins de table qu’ils cultivent en vue d’une exportation presque exclusive vers les Etats Unis. Je bavarde avec la maman fière des exploits de ses deux chérubins, Christine que j’avais déjà rencontrée á Buenos Aires avant le départ. Cette ancienne professeure est vraiment très sympathique. Elle est intriguée par le nombre de marques d’encouragements sur la carrosserie de ma moto. Aussi, elle me demande de lui fournir un gros feutre noir puis elle inscrit sur le garde boue avant les mots suivants : « Pierre, tu seras toujours le bienvenu au Chili, Christine ».

Contrairement á l’Argentine, le public est peu nombreux autour du bivouac. En fait, la plupart des spectateurs est déjà monté au sommet du col où le départ est donné. Ici, il n’y a que la petite ville et les dunes, rien d’autre. Le nombre de 4x4 est impressionnant et l’habileté des chauffeurs l’est tout autant. Bien que l’accès soit contrôlé, des centaines de véhicules se sont engagés le long du parcours dans la passe large de plusieurs kilomètres. Il est impossible de surveiller une surface aussi grande. Cela ne représente néanmoins aucun danger car tous les véhicules de course empruntent le même trajet sur une bande de sable d’une largeur de quelques centaines de mètres tout au plus. C’est á cet endroit que je prendrais la plus belle photo du rallye selon moi. Il s’agit de la photo sur le blog où l’on voit l’hélicoptère de l’armée Chilienne décoller dans la poussière devant trois pilotes Mitsubishi. C’est ça le Dakar !

L’étape comme plusieurs autres depuis St Raphael est raccourcie. Le rallye est beaucoup plus dur qu’en Afrique aux dires des anciens. Dans son ensemble, tout le monde en bave, que ce soient les camions, voitures et motos. Perdu dans le dédale de sable, un des pilotes gravit avec beaucoup de peine la plus haute dune du parcours á l’approche de l’arrivée. Lorsqu’il rejoint les 150 mètres du sommet, il voit les lumières du bivouac mais sa moto lui joue alors un mauvais tour. En effet, celle-ci a décidé de tomber et de glisser jusqu’au pied de cette montagne, mais du mauvais côté. Le pilote déjà á l’agonie doit redescendre á pied, puis reprendre de l’élan afin de gravir de nouveau la dune et se laisser glisser vers l’arrivée. C’est très court á raconter mais c’est très long á faire.

Stéphane descend d’un camion au CP final. Je comprends immédiatement qu’il a eu un problème avec la moto, lui-même paraissant en bonne santé. Sa roue avant s’est disloqué rayon après rayon. Il a essayé de réparer mais il a du se contraindre á monter dans le camion. Je lui demande alors pourquoi il n’a pas chargé la moto á bord. Le règlement précise que le moteur doit tourner lors du franchissement de la ligne. Il lui aurait suffit de passer la ligne d’arrivée en trainant la moto sur 1 mètre pour être encore en course. Il n’y a pas pensé car il est trop honnête. Pour lui le Dakar s’arrête là. C’est vraiment dommage car il avait fait une remontée spectaculaire depuis la casse de son moteur. Il est tres calme et n’affiche aucune rancœur. Je semble plus déçu que lui car égoïstement j’aurais vraiment aimé qu’il termine pour quelque part cueillir un peu de sa victoire. Ça m’apprendra à aider un Belge.

Demain, c’est le départ en convoie vers Fiambala pour les concurrents encore en course, la spéciale étant encore une fois annulée. Ils ne bénéficieront d’aucune aide durant cette journée marathon. Les véhicules d’assistance doivent se rendre directement á La Rioja par une piste de 800 kms traversant la cordillère des Andes et culminant á 4700 mètres. C’est un spectacle incroyable que nous découvrons virage après virage. A mon grand étonnement, je vois un petit regroupement d’habitations en plein milieu. Quelques gamins jouent comme des millions d’enfants dans le monde. Pourtant je suis bel et bien dans un autre monde.