jeudi 26 mars 2009

27 - La journée de repos


Le matin se lève sur Valparaiso. Ce nom veut dire « vallée du Paradis ». Cela devait être vrai à l’époque oú cet endroit venait d’être découvert, juste avant de devenir un des plus grands ports de pêche du monde. Mais la ville est aujourd’hui très industrialisée et le rivage urbanisé du pacifique ne suffit plus à justifier un tel nom. Certaines infrastructures portuaires semblent abandonnées. J’imagine que le canal du Panama est en partie responsable. Les bateaux ne contournant plus le continent sud Américain, cette halte forcée d’autrefois sur le chemin du cap Horn s’est converti peu à peu en une station balnéaire surpeuplée dont Vina Del Mar est le pôle d’attraction.

C’est la journée de repos pour les pilotes. Nous allons pouvoir prendre un petit déjeuner récréatif avant de trainer un long moment sous la douche chaude du centre sportif nautique collé au bivouac. Certains d’entre nous profiteront de la piscine olympique pour se détendre les muscles dans une sensation d’apesanteur. Les mécanos sont déjà à l’ouvrage malgré l’heure matinale. Ils profitent de cette longue journée pour réparer tout ce qui n’a pas pu l’être durant les 7 étapes précédentes. Sur la plupart des motos, le moteur est changé intégralement. Les caisses en bois sont alignées sur le sol, le couvercle ouvert laissant apparaître des joyaux en aluminium. Je me pose encore la question s’il est judicieux de changer un moteur qui fonctionne. En réalité rien ne garanti qu’une mécanique neuve soit plus fiable. Les moins fortunés se contentent de changer uniquement le piston et de vérifier la chaîne de distribution, ce qui représente une charge de travail beaucoup plus importante.

Les stands des voitures et des camions sont très bruyants. Les charpentes métalliques sont redressées à coup de masse. Les perceuses pneumatiques et les fers à souder constituent le bruit de fond de cette ambiance d’usine. Tout le monde est occupé. Il n’y a pas de place pour le bavardage. Cela tombe bien car aujourd’hui j’ai envie d’un peu de solitude. Cela peut paraître paradoxal alors que nous passons toute la journée seuls au milieu de nulle part, mais c’est différent. Sur la moto, il y a du bruit, de l'angoisse, de la douleur, de la soif, de la fatigue et du questionnement. Là, j’ai envie de calme pour penser à ma famille et à ma chance de vivre un de mes rêves.
Je décide donc d’aller à la plage qui se trouve au pied de la petite colline où le Dakar s’est installé. Il faut que je sois de retour en fin d’après midi car la présidente de la république, Michelle Bachelet, doit venir saluer sur notre stand Felipe Prohens, neveu de De Gavardo et surtout premier pilote Chilien au classement général. Felipe, 27 ans et membre de mon équipe, roule vraiment très fort sur sa Honda 450. Il est en 14eme position á ce stade de la course. Malheureusement, il détruira sa moto á 20 kilomètres de la fin du Dakar le dernier jour, aprés avoir parcouru plus de 9000 kilometres dans le peloton de tête. C’est un jeune garçon en pleur que je retrouverais á Buenos Aires. Comme nous sommes dans la même équipe, j’ai une chance de voir un président de très prés pour la premiere fois de ma vie et je ne veux pas rater cela. Mais avant tout, il faut que j’aille voir les médecins.

En effet je souffre du dos. Cela fait plusieurs jours que je me contorsionne sur la moto pour soulager la brûlure vive que je ressens au niveau des cervicales. Depuis un stupide accident de piscine il y a quelques étés, je dois régulièrement me faire replacer la 5eme cervicale et la 3eme dorsale. Avant mon départ pour l’argentine, mon ami Stéphane, directeur de la clinique sportive de Drummondville, m’avait remis les vertèbres en place, mais les efforts incontrôlables et répétés ont eu raison de son excellent travail. D’autre part, je suis couvert de plaques rouges qui me démangent énormément. Je n’arrête pas de me gratter et je deviens fou. La veille, pour franchir les 4200 mètres du col de la cordillère des Andes, j’avais enfilé en première peau des sous vêtements polaires dont la fibre mélangée à la sueur intense a provoqué cette allergie. Grâce à Dieu, j’avais un caleçon en coton sous le pantalon en laine, ce qui m’évite le ridicule au cours de mes séances publiques de grattage, certaines parties de mon anatomie étant épargnées par les violentes démangeaisons. Le médecin me fourni quelques pastilles et de la crème que je m’empresse d’étaler sur le corps.

Je m’installe sur le sable, le torse marqué par une grosse plaque écarlate en forme de papillon. Je pense aux parties de train électrique avec mon fils, aux conversations rigolotes avec ma fille très espiègle et au chemin parcouru avec mon épouse plus belle chaque année. Quelques jours auparavant, je ne pensais qu’à être au Chili. Aujourd’hui, j’aurais volontiers passé cette journée de repos au Québec. La recherche de la réponse à ce mystère m’épuise et je m’endors sur la plage.

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