lundi 30 mars 2009

29 - Le désert d'Atacama


Le trajet entre Valparaiso et la Serena, située aux portes du désert vers le nord, est presque une formalité. Depuis quelques jours, le désert d’Atacama est au centre de la plupart des conversations. De nombreux pilotes sont déjà venus dans la région lors des 6 jours organisés à la Serena en 2006. Contrairement au Dakar, cette course n’est pas itinérante. Le bivouac est installé dans la ville d’accueil d’où les spéciales, chaque jour différentes, débutent et se terminent.
Felipe et Jaime Prohens jubilent. Leurs parents possèdent une propriété à Copiapo et ces deux garçons pratiquent la moto depuis leur plus jeune âge dans la région. Les dunes immenses sont aussi le jardin de leur enfance.

Il n’a pas plu depuis onze années mais on ne peut pas qualifier cette partie du monde d’aride. L’évaporation du pacifique bloquée à l’Est par la cordillère des Andes assure une humidité relative, très faible certes, mais suffisante pour que le sol retienne un peu d’eau durant la nuit. Il est donc facile de rouler dans le sable tôt le matin. Par contre, cela devient de plus en plus difficile à mesure que le soleil chauffe le sable qui finit par devenir très fin.

L’étape du jour consiste à rejoindre Copiapo au Nord. De chaque côté de la seule route de la région, de nombreuses pistes parallèles utilisées pour l’activité minière longent cette bande d’asphalte. La spéciale serpente tantôt à l’Est, tantôt à l’Ouest, recoupant à plusieurs reprises ces pistes orientées vers le Nord. Ce sont ces pistes que j’emprunterai car je ne suis plus en course. Je suis venu pour traverser le désert d’Atacama et je suis bien décidé à me faire plaisir dans ce raid solitaire. Cela peut paraître imprudent car je pourrais chuter et personne ne le saurait, mais les pistes sont vraiment praticables et je roule avec précaution, conscient de cette solitude.

Bien évidemment, je rejoins les intersections beaucoup plus rapidement que les pilotes en course. Un concurrent tombe juste devant mes yeux á l’endroit où la spéciale croise ma piste. Comme je me suis arrêté pour voir passer les pilotes, je suis déjà descendu de ma moto et je me précipite pour l’aider á se relever. Il est couché sur le flanc, la jambe coincée sous la moto mais il ne fait aucun effort pour se dégager. Il est tout simplement épuisé, á bout de souffle. Je redresse sa machine que je maintiens verticale le temps pour lui de se lever puis de poser la tête sur ses deux bras qu’il vient d’appuyer sur la selle. Je l’encourage, je le rassure aussi. Il se redresse et me demande alors :
- Putain ! ya que moi qui en chie depuis ce matin !? T’as l’air frais !


Je ne peux m’empêcher de rire. Je lui explique alors que je suis venu par la piste et que je suis hors course. Cette réponse semble soudain lui redonner du courage, comme si les épreuves étaient plus faciles à surmonter lorsque l’on sait que d’autres sont dans la même détresse. Nous connaissons tous ce sentiment que nous avons forcément expérimenté á un moment ou á un autre de notre vie. Dans la période de crise que nous traversons, qui ne s’est pas réconforté á l’idée que ce sera de toute façon dur pour tout le monde ?

C’est tellement étrange. Nous nous inscrivons dans des compétitions afin de confronter nos capacités á celles des autres. On veut se distinguer et dominer. L’esprit de compétition est inculqué et assimilé de génération en génération. Il fait partie de notre société. Puis lorsque tout s’écroule, on recherche d’une façon instinctive du réconfort dans le partage de la situation avec tout le monde. Et si le naturel de l’homme n’était pas de dominer mais au contraire de partager ?


Finalement, le pilote repart. C’est au tour de l’argentin numéro 101 de tomber au même endroit. Je l’aide á peine car il est apparemment chargé d’adrénaline jusqu’aux oreilles.


Je rejoins Copiapo en fin d’après midi. Les couleurs sont magnifiques. J’ai passé une longue journée seul dans la luminosité de ce désert immense. Je me sens de plus en plus déconnecté avec la compétition. Je ne m’intéresse même pas au résultat de l’étape. Comme á mon habitude, je vérifie maternellement que Stéphane Charlier, mon ami Belge que j’avais remorqué dans la première spéciale, soit bien arrivé. Il se trouve que son équipe est installée juste á coté de nous dans le bivouac improvisé de Copiapo, au milieu d’un cirque de dunes.

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