lundi 30 mars 2009

29 - Le désert d'Atacama


Le trajet entre Valparaiso et la Serena, située aux portes du désert vers le nord, est presque une formalité. Depuis quelques jours, le désert d’Atacama est au centre de la plupart des conversations. De nombreux pilotes sont déjà venus dans la région lors des 6 jours organisés à la Serena en 2006. Contrairement au Dakar, cette course n’est pas itinérante. Le bivouac est installé dans la ville d’accueil d’où les spéciales, chaque jour différentes, débutent et se terminent.
Felipe et Jaime Prohens jubilent. Leurs parents possèdent une propriété à Copiapo et ces deux garçons pratiquent la moto depuis leur plus jeune âge dans la région. Les dunes immenses sont aussi le jardin de leur enfance.

Il n’a pas plu depuis onze années mais on ne peut pas qualifier cette partie du monde d’aride. L’évaporation du pacifique bloquée à l’Est par la cordillère des Andes assure une humidité relative, très faible certes, mais suffisante pour que le sol retienne un peu d’eau durant la nuit. Il est donc facile de rouler dans le sable tôt le matin. Par contre, cela devient de plus en plus difficile à mesure que le soleil chauffe le sable qui finit par devenir très fin.

L’étape du jour consiste à rejoindre Copiapo au Nord. De chaque côté de la seule route de la région, de nombreuses pistes parallèles utilisées pour l’activité minière longent cette bande d’asphalte. La spéciale serpente tantôt à l’Est, tantôt à l’Ouest, recoupant à plusieurs reprises ces pistes orientées vers le Nord. Ce sont ces pistes que j’emprunterai car je ne suis plus en course. Je suis venu pour traverser le désert d’Atacama et je suis bien décidé à me faire plaisir dans ce raid solitaire. Cela peut paraître imprudent car je pourrais chuter et personne ne le saurait, mais les pistes sont vraiment praticables et je roule avec précaution, conscient de cette solitude.

Bien évidemment, je rejoins les intersections beaucoup plus rapidement que les pilotes en course. Un concurrent tombe juste devant mes yeux á l’endroit où la spéciale croise ma piste. Comme je me suis arrêté pour voir passer les pilotes, je suis déjà descendu de ma moto et je me précipite pour l’aider á se relever. Il est couché sur le flanc, la jambe coincée sous la moto mais il ne fait aucun effort pour se dégager. Il est tout simplement épuisé, á bout de souffle. Je redresse sa machine que je maintiens verticale le temps pour lui de se lever puis de poser la tête sur ses deux bras qu’il vient d’appuyer sur la selle. Je l’encourage, je le rassure aussi. Il se redresse et me demande alors :
- Putain ! ya que moi qui en chie depuis ce matin !? T’as l’air frais !


Je ne peux m’empêcher de rire. Je lui explique alors que je suis venu par la piste et que je suis hors course. Cette réponse semble soudain lui redonner du courage, comme si les épreuves étaient plus faciles à surmonter lorsque l’on sait que d’autres sont dans la même détresse. Nous connaissons tous ce sentiment que nous avons forcément expérimenté á un moment ou á un autre de notre vie. Dans la période de crise que nous traversons, qui ne s’est pas réconforté á l’idée que ce sera de toute façon dur pour tout le monde ?

C’est tellement étrange. Nous nous inscrivons dans des compétitions afin de confronter nos capacités á celles des autres. On veut se distinguer et dominer. L’esprit de compétition est inculqué et assimilé de génération en génération. Il fait partie de notre société. Puis lorsque tout s’écroule, on recherche d’une façon instinctive du réconfort dans le partage de la situation avec tout le monde. Et si le naturel de l’homme n’était pas de dominer mais au contraire de partager ?


Finalement, le pilote repart. C’est au tour de l’argentin numéro 101 de tomber au même endroit. Je l’aide á peine car il est apparemment chargé d’adrénaline jusqu’aux oreilles.


Je rejoins Copiapo en fin d’après midi. Les couleurs sont magnifiques. J’ai passé une longue journée seul dans la luminosité de ce désert immense. Je me sens de plus en plus déconnecté avec la compétition. Je ne m’intéresse même pas au résultat de l’étape. Comme á mon habitude, je vérifie maternellement que Stéphane Charlier, mon ami Belge que j’avais remorqué dans la première spéciale, soit bien arrivé. Il se trouve que son équipe est installée juste á coté de nous dans le bivouac improvisé de Copiapo, au milieu d’un cirque de dunes.

vendredi 27 mars 2009

28 - Les coulisses du Dakar


Lorsque Thierry Sabine Organisation lança pour la première fois un bataillon d'aventurier dans le désert, la France entière s'enflamma. Puis se fut petit à petit le tour des pays voisins de se passionner pour cet évènement en découvrant des paysages incroyables et des visages poussiéreux.

J'ai eu la chance d'assister plusieurs fois au départ du Paris Dakar dans les années 80. Je travaillais de nuit dans un casino Parisien et le 1er Janvier était devenu un rendez vous incontournable. J'entrainais mes collègues dans le froid matinal au Trocadéro puis au Château de Versailles. C'était le « after » de notre génération. Je me souviens être tombé en fascination devant le personnage de Thierry Sabine que l'on pouvait voir déambuler calmement dans le parc de véhicules à l'époque accessible au public. Cet homme dégageait vraiment quelque chose. Il n'était pas qu'un simple aventurier. Il était le berger à qui tous ces hommes et femmes confiaient aveuglément leur sort. Il représentait exactement ce que j'aurais aimé être, alors que j'étais encore un jeune homme rêveur en recherche d'identité. Au niveau des concurrents, j'étais un admirateur inconditionnel de Cyril Neveu qui du haut de ses 1 mètre 60, gagna les deux premières éditions sur une XT500 avant de devenir le pilote officiel Honda El Charro. Je me souviens encore des images de la compétition entre lui, Gaston Rahier et Hubert Auriol qui se brisa les deux jambes au Lac Rose mais qui rejoignait tout de même l'arrivée dans d'atroces souffrances. Ces images ont fait le tour du monde. Aujourd'hui encore, le Dakar évoque tellement le rêve que l'on se demande rarement ce qu'implique la mise sur pied d'une aventure de cette ampleur. Avec du recul, on se rend mieux compte des contraintes de coordination.


Depuis toujours, le Dakar est un évènement nomade. A.S.O relève chaque année le défi de transporter non seulement la direction de course, mais aussi toute la logistique qui concerne la restauration, le ravitaillement essence, les télécommunications, le service médical, les sanitaires, les générateurs d'énergie, etc...
Le temps est le facteur déterminant. Le rallye va de plus en plus vite. La distance est restée la même mais l'épreuve dure 14 jours au lieu de 21 jours autrefois. Or, toutes les structures logistiques doivent être opérationnelles avant que le premier concurrent ne franchisse la ligne du CP final au bivouac.
Cela impose que l'on adopte une stratégie en tiroir. Les structures sont doublées et le montage du village se fait en alternance. La structure de l'étape 1 partira directement à l'étape 3 pendant qu'une deuxième équipe prendra en charge le village de l'étape 2, exactement comme une tournée de U2. Il faut deux podiums, deux jeux de lumières, deux sonos, mais il n'y a qu'un Bono.

De la même manière, sur le Dakar il n'y a qu'un Etienne Lavigne, une seule équipe de juges de course, une seule équipe médicale. Le personnel spécialisé se déplace donc en avion de bivouac en bivouac. Dans cette transhumance, les journalistes sont choyés car ils garantissent à eux seuls la notoriété de l'évènement. Je ne connais pas les chiffres exacts en terme de véhicules et de personnel, mais c'est très impressionnant visuellement. Ce sont des tonnes de matériel transportés et des centaines d'individus venus de tous les horizons qui s'affairent chaque jour dans l'anonymat et sous la coordination d'A.S.O. pour que les concurrents puissent vivre cette grande aventure et que les médias puissent la faire partager au public.

Et puis il y a les gens sur le terrain. Les équipes chargées de la sécurité sur le parcours passent pratiquement la totalité du rallye dans leur vieux Toyota. Ils transportent de la nourriture, de l'eau et de l'essence pour plusieurs jours. Il sont autonomes. Avant le passage du rallye, leur mission est de veiller à ce que le terrain soit praticable et que les normes de sécurité pour les concurrents et les spectateurs soient respectées. Après la spéciale, ils doivent s'assurer que les biens n'ont subits aucun dommage, avant de repartir directement sur la spéciale suivante.


De tous les participants à cet évènement, pilotes inclus, ce sont de loin ceux qui passent le plus de temps dans le désert. Ce sont eux aussi qui parcourent le plus de distance du fait des va et vient sur la spéciale. Ils sont de vrais baroudeurs.

jeudi 26 mars 2009

Quelques photos








27 - La journée de repos


Le matin se lève sur Valparaiso. Ce nom veut dire « vallée du Paradis ». Cela devait être vrai à l’époque oú cet endroit venait d’être découvert, juste avant de devenir un des plus grands ports de pêche du monde. Mais la ville est aujourd’hui très industrialisée et le rivage urbanisé du pacifique ne suffit plus à justifier un tel nom. Certaines infrastructures portuaires semblent abandonnées. J’imagine que le canal du Panama est en partie responsable. Les bateaux ne contournant plus le continent sud Américain, cette halte forcée d’autrefois sur le chemin du cap Horn s’est converti peu à peu en une station balnéaire surpeuplée dont Vina Del Mar est le pôle d’attraction.

C’est la journée de repos pour les pilotes. Nous allons pouvoir prendre un petit déjeuner récréatif avant de trainer un long moment sous la douche chaude du centre sportif nautique collé au bivouac. Certains d’entre nous profiteront de la piscine olympique pour se détendre les muscles dans une sensation d’apesanteur. Les mécanos sont déjà à l’ouvrage malgré l’heure matinale. Ils profitent de cette longue journée pour réparer tout ce qui n’a pas pu l’être durant les 7 étapes précédentes. Sur la plupart des motos, le moteur est changé intégralement. Les caisses en bois sont alignées sur le sol, le couvercle ouvert laissant apparaître des joyaux en aluminium. Je me pose encore la question s’il est judicieux de changer un moteur qui fonctionne. En réalité rien ne garanti qu’une mécanique neuve soit plus fiable. Les moins fortunés se contentent de changer uniquement le piston et de vérifier la chaîne de distribution, ce qui représente une charge de travail beaucoup plus importante.

Les stands des voitures et des camions sont très bruyants. Les charpentes métalliques sont redressées à coup de masse. Les perceuses pneumatiques et les fers à souder constituent le bruit de fond de cette ambiance d’usine. Tout le monde est occupé. Il n’y a pas de place pour le bavardage. Cela tombe bien car aujourd’hui j’ai envie d’un peu de solitude. Cela peut paraître paradoxal alors que nous passons toute la journée seuls au milieu de nulle part, mais c’est différent. Sur la moto, il y a du bruit, de l'angoisse, de la douleur, de la soif, de la fatigue et du questionnement. Là, j’ai envie de calme pour penser à ma famille et à ma chance de vivre un de mes rêves.
Je décide donc d’aller à la plage qui se trouve au pied de la petite colline où le Dakar s’est installé. Il faut que je sois de retour en fin d’après midi car la présidente de la république, Michelle Bachelet, doit venir saluer sur notre stand Felipe Prohens, neveu de De Gavardo et surtout premier pilote Chilien au classement général. Felipe, 27 ans et membre de mon équipe, roule vraiment très fort sur sa Honda 450. Il est en 14eme position á ce stade de la course. Malheureusement, il détruira sa moto á 20 kilomètres de la fin du Dakar le dernier jour, aprés avoir parcouru plus de 9000 kilometres dans le peloton de tête. C’est un jeune garçon en pleur que je retrouverais á Buenos Aires. Comme nous sommes dans la même équipe, j’ai une chance de voir un président de très prés pour la premiere fois de ma vie et je ne veux pas rater cela. Mais avant tout, il faut que j’aille voir les médecins.

En effet je souffre du dos. Cela fait plusieurs jours que je me contorsionne sur la moto pour soulager la brûlure vive que je ressens au niveau des cervicales. Depuis un stupide accident de piscine il y a quelques étés, je dois régulièrement me faire replacer la 5eme cervicale et la 3eme dorsale. Avant mon départ pour l’argentine, mon ami Stéphane, directeur de la clinique sportive de Drummondville, m’avait remis les vertèbres en place, mais les efforts incontrôlables et répétés ont eu raison de son excellent travail. D’autre part, je suis couvert de plaques rouges qui me démangent énormément. Je n’arrête pas de me gratter et je deviens fou. La veille, pour franchir les 4200 mètres du col de la cordillère des Andes, j’avais enfilé en première peau des sous vêtements polaires dont la fibre mélangée à la sueur intense a provoqué cette allergie. Grâce à Dieu, j’avais un caleçon en coton sous le pantalon en laine, ce qui m’évite le ridicule au cours de mes séances publiques de grattage, certaines parties de mon anatomie étant épargnées par les violentes démangeaisons. Le médecin me fourni quelques pastilles et de la crème que je m’empresse d’étaler sur le corps.

Je m’installe sur le sable, le torse marqué par une grosse plaque écarlate en forme de papillon. Je pense aux parties de train électrique avec mon fils, aux conversations rigolotes avec ma fille très espiègle et au chemin parcouru avec mon épouse plus belle chaque année. Quelques jours auparavant, je ne pensais qu’à être au Chili. Aujourd’hui, j’aurais volontiers passé cette journée de repos au Québec. La recherche de la réponse à ce mystère m’épuise et je m’endors sur la plage.

mardi 24 mars 2009

26 - Les pilotes moto décimés


Les concurrents ont souffert de la chaleur, du terrain et de la poussière. Les pilotes moto plus que quiconque ont payé physiquement de leur personne pour découvrir que le Dakar en Argentine s’est avéré plus difficile qu’en Afrique.

Plusieurs pilotes dont certains favoris sont victimes d’avaries ou de chutes plus ou moins graves dés la première étape. Au cours de la deuxième étape, Pascal Terry est porté disparu avant que les secours ne le retrouve sans vie au terme de 2 jours de recherche. 90 pilotes se retrouvent perdus dans l’étape Jacobacci – St Raphael, alors qu’une tempête de grêle venue de nulle part s’abat sur le rallye, tempête si forte et improbable qu’elle a aussi mis les hélicoptères en danger. Un des concurrents est sauvé in extremis de l’hypothermie par le champion Chilien De Gavardo. L’Argentin Eduardo Alan est quand á lui retrouvé après 15 heures de recherche par des amis qu’il a pu contacter par cellulaire. La fatigue s’accumule et les abandons se succèdent. Il ne reste que la moitié des concurrents á l’arrivée á Valparaiso, ville choisie par A.S.O pour la journée de repos. Un pilote espagnol est plongé dans un coma profond. La queue au centre médical n’en finit pas. Les vestes d’enduro font place aux pansements et aux plâtres blancs sur lesquels aucun logo de commanditaire ne figure.

La presse s’active et une certaine effervescence se fait sentir. Les journalistes d’Europe1 et de RMC m’interrogent sur l’efficacité des mesures d’assistance et sur le fonctionnement des appareils de sécurité dont nous sommes tous équipés. Ils obéissent á leur devoir d’informer. Leur mission impartiale est déterminante car, vu de l’extérieur, l’hécatombe soulève au sein de l’opinion publique une polémique sur la difficulté de l’épreuve et sur les compétences de l’organisateur. Cette polémique a été alimentée en partie par l’abandon de Carlos Sainz qui a prétendu, après avoir chuté dans un précipice, que le road book comportait des erreurs.

David Casteras, directeur de course et ancien coéquipier de Peterhensel, a passé 100 jours sur le terrain en reconnaissance accompagné de vrais spécialistes tels que Jean Pierre Fontenay, vainqueur d’une édition du Dakar en tant que pilote officiel Mitsubishi. Ce sont des experts. Personne n’est mieux placé pour déterminer si les obstacles sont franchissables pour les motos, voitures et camions. Leur analyse a permis d’élaborer un parcours d’un niveau de difficulté suffisamment élevé pour qu’il s’inscrive dans la légende du Dakar.

Aucun rallye de saurait être comparé au Dakar. Cette course est plus difficile et plus longue que n’importe quelle autre course. Les pilotes venus en découdre et se mesurer á eux-mêmes dans un défi d’endurance ne s’attendent pas á participer á une promenade touristique. Ces volontaires sont venus chercher une aventure extrême en toute connaissance de cause. Nul ne peut ignorer que le rythme est de plus en plus rapide. La performance du matériel autorise des vitesses impressionnantes. La simple pratique de la moto est dangereuse mais l’esprit de compétition de plus en plus affirmé dans notre société toute entière contribue á ce que les pilotes prennent des risques parfois déraisonnables. Ils le font naturellement et sans contrainte. En effet, personne n’a obligé Annie Seel, Championne suédoise de rallye, á remonter sur sa moto et finir l’épreuve avec de nombreuses contusions et une épaule déboitée. De la même manière, Laurent Lazard roulera 3 jours avec le genou détruit par une roche avant de déclarer forfait. Mon ami Mario, le numéro 162, participait pour la 4eme fois au Dakar. C'est la premiere fois qu'il ne montait pas dans un hélicoptére médical. La difficulté rend la victoire encore plus belle. Terminer le Dakar constitue déjà en soi une incroyable victoire sur soi même. Aucun pilote ne voudrait d’un Dakar facile et sûr.

Les conditions pour participer á cette épreuve sont clairement définies avant le départ. Il faut avoir un bilan de santé irréprochable confirmé par des spécialistes de la médecine sportive. D’autre part, il faut avoir participé á des épreuves de niveau national avant de pouvoir prétendre s’inscrire á une épreuve régie par la Fédération Internationale de Moto.
Les candidats sont tenus de connaître des notions de survie. Cela n'est pas mentionné dans le reglement mais c'est la premiere regle de bon sens lorsque l'on s'engage dans une telle aventure. D'ailleurs, les pilotes recoivent un kit de survie obligatoire qui doit leur permettre d'attendre les secours pendant plusieurs jours, á condition de garder son sang froid et de bien sûr transporter ce matériel avec soi. Il faut se rappeler que cette course est aussi et avant tout une aventure. Il faut être responsable et savoir prendre en charge sa propre survie en considérant tout d'abord que la télécomunication obéit aux lois de l'atmosphere. Traverser l'Atlantique sans expérience en se disant qu'en cas de probléme on passera un petit coup de téléphone satellite serait la démonstration d'une grande stupidité.

A.S.O a su s’adapter aux contraintes variables durant le mois de Janvier 2009 en réduisant ou neutralisant certaines spéciales dans un souci de sécurité. La météo changeante a affecté bien évidement la nature du terrain et les conditions d’intervention des assistantes. Malgré les pressions subies, Etienne Lavigne et toute son équipe ont démontré le niveau de professionnalisme attendu au moment de prendre des décisions pour protéger les participants tout en préservant l’essence même du Dakar, autrefois connu sous le nom de Paris-Dakar.

Sur les 239 motos inscrites au départ, 113 rejoindront l’arrivée soit presque 50%. C'est beaucoup. En 1987, seuls 26 pilotes motos avaient pu sortir d'une spéciale historique en Algérie. A cette époque il n’y avait pas de moyens satellites pour localiser les concurrents, ni de téléphone pour avertir les secours. En 1976, Thierry Sabine resta bloqué 4 jours dans le désert. Cet incident presque fatal fut au contraire la révélation inspiratrice de cette course légendaire, une course ou seuls les méritants rejoindraient l’arrivée.
Sommes nous fous ? Peut être, mais pas plus que l'alpiniste qui escalade une face nord ou bien le navigateur qui traverse l'océan en solitaire. Les sensations éprouvées sont difficilement explicables avec des mots.

lundi 23 mars 2009

25 - La chambre á air de Jordi Viladoms


Je retrouve le rallye et surtout mon équipe d’assistance qui malgré tout était inquiète de ne pas avoir de nouvelle précise. Certes, Gilles, le team manager, savait que j’avais quitté la spéciale sain et sauf mais il ne savait pas exactement où je me trouvais. La longue liaison de 600 kilomètres a contribué á mon abandon. Le rallye partait vers l’est pour revenir ensuite vers la cordillère des Andes á l’ouest. Cependant, cette même spécificité m’a permis de retrouver la caravane du Dakar. Je n’aurais jamais pu la rattraper si le tracé avait été en ligne droite plutôt qu’en boucle.

Gilles me félicite pour ma décision très mature selon lui. Au cours de ces 17 rallyes, il a vu en effet de nombreux concurrents se blesser gravement parce qu’ils se sont acharnés contre la fatigue. Piloter une moto sur les pistes est extrêmement dangereux. Le faire alors que le corps et l’esprit ne répondent plus devient suicidaire.

Malgré le réconfort plein de sagesse que je reçois, je suis triste. Je dois me faire á l’idée de quitter le rallye. Gilles me confirme que le règlement est formel sur le sujet. La chance va néanmoins me sourire car nous aurons l’occasion de discuter avec le directeur de course David Castera dit le « sanglier ». Les deux hommes se connaissent bien. Ils ont participé ensembles á de nombreuses courses á l’époque où David était encore le porteur d’eau de Stéphane Peterhansel. Pour ma part, c’est la première fois que je le rencontre et la sympathie s’installe très vite. Je suis en bonne santé, la moto marche maintenant parfaitement bien. Miraculeusement, David me donne l’autorisation de poursuivre l’épreuve, hors classement toutefois, et á mes risques et périls. Je suis fou de joie. Je vais pourvoir traverser deux fois la cordillère et surtout traverser le désert d’Atacama. Le classement m’importe peu depuis le début, bien qu’en toute honnêteté, j’aurais été bien évidement tres fiers de figurer á une place honorable.

De retour au camion, Gilles me demande si je peux lui échanger une chambre á air fine contre celle extrêmement épaisse et lourde de Jordi Viladoms. Depuis le début du rallye, les bibs mousses en polyuréthane fondent et la plupart des pilotes reviennent á une option de monte classique, ce qui a pour conséquence de provoquer une grande pénurie dans le parc assistance. Il se trouve que j’en ai encore de rechange. La mienne pesant deux fois moins, il lui sera plus facile de la transporter dans sa veste en cas de crevaison.
Pour me convaincre, Gilles me démontre que l'épais caoutchouc est indestructible. Cet argument n’était pas vraiment nécessaire pour que j’accepte le troc. Le simple fait que je puisse dépanner Jordi Viladoms, grand maitre du rallye raid, suffisait á lui seul. D’autre part, je suis un rescapé et cela provoque une certaine euphorie chez moi. J’ai envie d’aider tout le monde. Ors, je crèverais deux fois sur le parcours Mendoza – Valparaiso, au pied de la cordillère des Andes.

Ces crevaisons me permettent de découvrir á quel point le Dakar suscite de la passion auprès des habitants des régions traversées, et á quel point aussi ces mêmes personnes sont accueillantes et serviables. Il m’est impossible en effet de manipuler le moindre outil. Les badauds se ruent autour de la moto et un vieil homme m’arrache littéralement les démontes pneus des mains. Il est relativement maladroit et je crains qu’il ne se blesse. Toutefois je le laisse faire par respect pour son âge avancé et pour la spontanéité qu’il a démontré. Le 4 x 4 d’assistance d’Andres Memi, le pilote Brésilien, s’arrête à notre hauteur. Les mécaniciens n’ont pu résister au spectacle de ce doyen acharné sur ma roue arrière pendant que je signais des autographes á la grappe de gamins enthousiastes qui s’est formée autour de moi. J’apprends alors qu’Andres vient de chuter lourdement et qu’il a été évacué par hélicoptère dans un état grave . Nous avions eu l’occasion d’échanger quelques mots avant le départ car nous faisions partis de la même équipe.

C’est sous escorte des Carabinieros de Limache que j’atteins une station service après avoir crevé pour la deuxième fois sur la liaison. La réparation du bon samaritain n'a pas tenu mais je ne lui en veux pas. Il était tellement gentil que cela restera pour moi un excellent souvenir. C’est á cet endroit que la vie de la chambre á air réputée indestructible d’un des plus célèbres pilotes du Dakar se terminera, au fond d’une poubelle et dans l’indifférence la plus absolue.

mardi 17 mars 2009

24 - Un faux combat

Ce lundi 16 mars est le premier jour légal d’utilisation des motos au Québec. La loi sur les pneus d’hiver est intransigeante. Du 15 Décembre au 15 Mars, tous les véhicules doivent être équipés de pneus d’hiver. Vous pouvez donc vous tuer sur la neige en toute légalité avant le15 décembre ou bien après le 15 mars. Cette disposition administrative a du demander une mobilisation importante. Les couts directs et indirects ont du aussi être conséquents. Tout ça pour l’abruti qui ne sait pas qu’il est extrêmement dangereux de rouler sur la neige avec sa moto. Il doit y en avoir au moins un puisqu’il y a une loi destinée à le protéger contre lui-même. J’espère qu’il n’est pas un des membres de http://www.ridaventure.ca/ que je viens de rejoindre.

Le 16 Mars, c’est aussi la date d’une interview donnée sur CKAC sport où nous avons effleuré quelques aspects écologiques et de société que j’aimerais approfondir.
Le Dakar est souvent attaqué sur le thème de la pollution et sur celui de la mort des petits africains dans les villages. Nos militants et politiciens les moins courageux préfèrent en effet s’attaquer à un petit événement médiatisé plutôt que de s’attaquer à une montagne. Ils brandissent le poing levé tels les sauveurs de la planète, s’accréditant de bonne foi et de popularité. Le plus agaçant est que ce jeu purement politique fonctionne. Notre société réfléchit de moins en moins. Nous sommes prêts à croire n’importe quoi, pourvu que l’orateur ait l’air sincère et que ce soit dit à la télévision.

Les rallyes suscitent un engouement populaire très marqué en Afrique et en Amérique du Sud. Le jour du départ du Dakar cette année, ce sont 500.000 personnes qui se sont bousculées dans Buenos Aires et autant sur le parcours entre Buenos Aires et la première spéciale, soit au total 1 million de spectateurs. Bien évidement ce rassemblement le long du parcours représente un danger malgré les dispositions de limitation de vitesse imposées sur certains tronçons habités. Rien ni personne ne peut empêcher la possibilité qu’un enfant traverse la piste. C’est arrivé et ça arrivera encore. Il faut retenir cependant qu’il n’y a aucune intention de violence dans ces tragédies qui affectent aussi les pilotes, pères de familles pour la plupart.

Personnellement la violence me dérange. Les victimes innocentes occasionnées par certaines rencontres historiques de football me dérangent. Le joueur de hockey décédé à la suite d’une bagarre sur la glace me dérange. La culture de la violence physique, verbale ou morale appliquée à notre quotidien en général me dérange. Pourtant jamais personne n’a proposé de supprimer les matchs de football ou de hockey. Je suis sensible à ces accidents survenus sur le rallye dans le passé, mais beaucoup moins qu’aux massacres ethniques.
Le déplacement du Dakar en Amérique du Sud a des conséquences désastreuses pour l’Afrique, bien plus que les 12 victimes regrettables parmi la population depuis trente ans. En effet, ce continent vient de perdre 600 heures de reportages télévisés dans presque cents pays. Cela représente environ 200 fois le budget de communication du Sénégal, peut être 1000 fois celui du Mali ou du Niger. D’autre part, le Dakar est aussi une action humanitaire créée par Daniel Balavoine. Les pilotes eux mêmes parrainent bien souvent une association caritative. Cette année, ces dizaines de milliers de dollars iront au bénéfice de l’association Argentine Un techo para mi pais. Mais que les gens se rassurent, il n’y aura aucun autre petit africain mort cette année pour des raisons autres que l’abandon à leurs propres sorts.

Quand à la pollution, les 500 véhicules qui roulent pendant 15 jours dans le désert n’occasionnent pas plus de dommage à la planète que 500 autres circulant en ville pendant la même période. Le terrain lui-même n’est pas affecté. Après le passage du rallye, la nature reprend ses droits. La première pluie, le premier coup de vent éliminent toute trace de passage. Il suffit de rouler sur une piste ventée pour constater qu’il n’y a aucune trace au sol du concurrent qui précède d’une minute votre position.
L’émission de CO2 pendant le Dakar est des milliers de fois moindre que la pollution causée par les tondeuses à gazon ou souffleuses à neige thermiques. Je suis surpris qu’aucune instance n’ait encore proposé l’utilisation d’outils électriques. La rotation d’avion pendant les jeux olympiques de Pékin a représenté un préjudice à l’atmosphère plusieurs milliers de fois plus grave. Encore là, personne ne parle de supprimer cet événement pourtant aussi inutile qu’un rallye.

Le Dakar est utilisé sciemment pour sensibiliser la société sur le combat écologique à mener. Ceci a une conséquence intellectuelle majeure, car pendant que les gens se découvrent une âme militante anti rallye, les chinois détournent un fleuve sur une distance de 300 kilomètres, mettant en péril l’équilibre hydro thermique de toute la planète.
Nous faisons face à une réalité démographique. Nous sommes de plus en plus nombreux sur la terre mais les priorités économiques et culturelles de chacun divergent. Au sein d’un même pays, certains privilégient l’aseptisation par l’élimination de tout ce qui dérange, y compris la liberté de penser. D’autres privilégient les sens et les émotions, en cherchant des alternatives sociales qui leur donnent encore la sensation de remplir leur vie. Personnellement, je conduis une moto.

dimanche 15 mars 2009

23 - Le rallye devient un raid


Il est 6 heures. J’ouvre les yeux et je me sens en pleine forme grâce á la nuit réparatrice que je viens de passer. Je réalise que les concurrents ont pris le départ de la spéciale les conduisant de Puerto Madryn sur la côte atlantique, jusqu’á Jacobacci 700 kms plus á l’ouest, en direction de la cordillère des Andes. Je me rends á la salle à manger pour avaler un café.

Je suis hors course. La logique voudrait que je rejoigne Buenos Aires directement tel que le stipule le règlement. Ors, tous mes vêtements de rechange sont dans le camion d’assistance et je ne me vois pas débarquer sans vêtements décents dans cette grande métropole où j’ai l’intention de passer quelques jours pour attendre le rallye á son retour. Il faut donc que j’aille d’abord á la rencontre du rallye pour récupérer mes effets personnels.

Je reprends donc une piste en direction de Jacobacci. Il n’y a pas de trafic mais je sais que le vieux Toyota d’ASO est derrière moi. Je ne serais pas seul en cas de problème mécanique. En fin de matinée, une KTM 900 me double. Le pilote me salue de la main. La moto est chargée comme une mule. Les nombreux autocollants sur les sacoches et la carrosserie témoignent que ce gars là a dû pas mal barouder. Quelques kilomètres plus loin, le voyageur immobilise son engin sur le bas côté de la petite route désertique. Je décide de m’arrêter pour le saluer. Je suis seul depuis quelques heures et j’ai envie de faire un brin de conversation.

J’apprends que mon nouvel ami est Brésilien. Il est venu de Sao Paulo spécialement pour suivre le rallye. Avec l’équipement qu’il transporte, il est totalement autonome, bien qu’il lui faille prendre ses douches dans les stations services. Le contact est très facile. Il me propose de faire un bout de chemin ensemble jusqu’á l’intersection qui conduit á Neuquén. Nous roulons á un rythme régulier, presque monotone, entre 110 et 120 km/h. Ma Yamaha 450cc tient très facilement la cadence, bien que deux fois plus petite que le bicylindre Autrichien de mon acolyte. Il faut dire que la transmission secondaire a été modifiée pour donner plus d’allonge. D’autre part, je voyage léger. Je n’ai aucun bagage à transporter. Pour la première fois depuis le début du rallye, je conduis assis. De temps en temps, je change de position pour soulager les parties pas assez charnues de ma personne.

A la croisée des chemins nous nous arrêtons dans la seule station service de la région. Il m’indique qu’il est 14 heures, ce qui correspond exactement á l’heure se sa sieste quotidienne. Il a choisi de s’allonger sur le bord d’une petite rivière qui coule plus bas. Certes, j’ai un peu sommeil aussi mais je n’ai pas envie de perdre trop de temps. Je préfère dormir une heure tout au plus sur l’asphalte au pied de la moto. Je pensais être sans contrainte, mais au vue du style de vie de ce brésilien solitaire, je m’aperçois que je suis encore préoccupé par les horaires et les distances, pas assez toutefois pour rester en course, mais trop pour profiter de cette merveilleuse parenthèse de liberté qui s’ouvre devant moi depuis ce matin.
Alors, pour m’investir á fond dans cette escapade involontaire mais très agréable, je prolonge ma sieste de deux heures, décidé á rejoindre Neuquén par la route plutôt que de continuer vers Jacobacci par la piste. Il faudra pour cela que je passe une journée de plus avec les vêtements de course que je porte depuis la veille, mais quelle importance ?

A mon réveil, une voiture est garée juste á côté de moi. J’ai l’air d’un vagabond. Le chef de famille souhaite être pris en photo avec moi et sa petite fille. Je remarque alors dans le véhicule un jeune homme qui nous regarde intensément. Son père m’explique qu’il a un handicap très lourd depuis la naissance. Je lui propose de faire une photo avec Felipe. Je sens bien qu’il n’osait pas me le demander car l’homme prépare instantanément le fauteuil puis installe son fils á bord. Le gamin me sourit et m’adresse la parole. Seule sa tête est mobile. Le reste de son corps est complètement atrophié. Je retire mon maillot Yamaha que je lui offre, m’excusant pour la saleté du tissu. Il semble vraiment heureux de ce cadeau. Son père pleure. Felipe me promets de parler de notre rencontre sur son site web qu’il met á jour lui-même, site web sur lequel il parle aussi de son association et de sa maladie. J’ai perdu la carte et le regrette bien. De mémoire, cette association catholique était en contact direct avec le Canada où cette maladie semblait être très connue.

En fin d’après midi, j’arriverais á Neuquén sous les acclamations d’une foule étonnée que le rallye arrive avec un jour d’avance. Certains pensent même que je viens de coller 24 heures á Marc Coma.

jeudi 12 mars 2009

22 - Seul dans les dunes (5)


Je viens de me réveiller. Le soleil a disparu derrière la crête de la plus haute dune, mais la clarté est encore bonne. J’ai vécu en Argentine mais je découvre pour la première fois la Pampa qui est en fait un grand désert habité et exploité. L’élevage constitue l’activité principale. Chaque tête a un territoire gigantesque pour paitre. L’herbe haute qui pousse sur cette terre sablonneuse constitue pour ces animaux l’alimentation principale et presque exclusive. C’est surement la raison pour laquelle la viande Argentine est si bonne.

Dans mon esprit j’ai déjà abandonné. Il est tard. La plupart des pilotes moto ont déjà rejoint le bivouac 600 kilomètres plus loin. Il faudrait que je roule toute la nuit pour ensuite prendre immédiatement le départ de la spéciale suivante longue de 700 kilomètres, sans même bénéficier de l’assistance repartie très tôt vers la destination suivante, paradoxalement plus proche de là où je suis.
A Buenos Aires, j’avais promis á Catherine d’être extrêmement prudent. Je ne me réfugie pas derrière cette promesse pour excuser l’abandon. J’ai aussi l’intuition qu’il n’est pas raisonnable de s’acharner. J’ai toujours su mettre mon orgueil de côté pour prendre une décision lorsqu’il s’agissait de la sécurité, que ce fût en mer ou dans les airs. Je suis encore là aujourd’hui pour en témoigner. Le danger devient imminent lorsque l’on dépasse ses propres limites. Je suis venu vivre un rêve et pour l’heure le rêve s’achève ici. J’aurais finalement la chance de poursuivre en raid jusqu’á Buenos Aires en moto, mais je ne le sais pas encore.

Le camion balai arrive. L’équipe se présente et nous échangeons quelques plaisanteries pour aiguayer ce moment funèbre. La moto est vraiment enfoncée profondément. La grue sera nécessaire pour sortir la demoiselle de son piége . J’apprends que ce jour là une quinzaine de motos ont subi le même sort. Deux camions balais auront été nécessaires pour récupérer tout le monde. J’apprends aussi que la moto de mon ami Jean Christophe s’est fait rouler dessus par un camion russe, non pas que les camions russes soient plus lourds que les autres, mais leur conducteurs bien plus agressifs que la norme. Il a eu beaucoup de chance de s’en sortir indemne. En fait, il était en train d’uriner lorsque c’est arrivé. Il aura évité au moins de faire dans son pantalon.

Finalement je rejoins le CP et j’annonce que je vais me rendre directement sur Jacobaci. Une famille s’approche pour me féliciter. Je suis fatigué mais j’ai encore de la patience. J’offre mes gants autographiés á deux gamins fous de joie, en leur rappelant bien que pour réunir la paire, il faut qu’ils restent amis. Ce geste symbolise que pour moi le rallye est fini. Maintenant plus rien ne me contraint et il est tard. Je passerai donc la nuit dans un petit hôtel avec l’équipe d’ASO avec qui nous partageons dans la bonne humeur la meilleure Parillada de toute ma vie. Comme je n’ai pas de vêtements, un des commissaires me prête un T-shirts. Je marche pieds nus dans la rue. Je me sens libre.

mardi 10 mars 2009

21 - Seul dans les dunes (4)


La chaleur est intense. Il n’est pas exagéré de penser que la température avoisine les 50 degrés. Malgré les litres d’eau que j’avale, mes lèvres sont sèches et craquelées. Je remonte sur la moto et mes amis d’un jour, d’un instant devrais je dire, me poussent pour m’aider á démarrer. Ce geste touchant est parfaitement inutile car seuls les chevaux de mon engin ont la puissance nécessaire pour m’élancer dans le sable. Je pense que ces gens éprouvent un besoin irrésistible d’exprimer leur joie d’avoir partagé un moment avec un concurrent. Je pense qu’ils rentreront chez eux ce soir en racontant á leur famille qu’ils ont vu un pilote du Dakar et que grâce á leur aide il a pu repartir. Et ce sera vrai d’une certaine manière car leur présence et leur encouragement ont constitué une aide morale certaine.

Je poursuis ma route. Une voiture rouge roule en marche arrière. La chaleur aurait elle rendu les gens fous ? La voiture finit par s’immobiliser ce qui fait mon affaire car je n’ai plus de moyen de navigation. Les traces au sol partent dans deux directions. Je m’arrête á hauteur du véhicule pour leur demander par signe si je dois partir par là ou bien par là. Ils me répondront aussi de la main qu’il faut que je parte par là. Cette demande est parfaitement inutile car rien ne me prouve que mes informateurs connaissent la bonne réponse. Après tout, il y a bien deux traces sur le sol qui montrent que les avis sont partagés. A cet instant je prends cette indication comme une parole d’évangile. Je parts donc par là.

Le sable devient de plus en plus mou. Je ne sais pas combien de kilomètres me séparent de la fin de la spéciale. Je m’enlise une première fois. Pour sortir la moto de cette situation, il n’y a qu’un seul moyen. Je la secoue violament de droite á gauche pour finalement la coucher sur un coté. Puis je la fais pivoter pour dégager la roue arrière de son trou. Je redresse la moto, j’enclenche la première et je pousse fort sur le guidon pour l’aider á prendre de l’élan avant de sauter sur la selle une fois certain qu’elle ne va pas s’enfoncer de nouveau. Je suis déshydraté. J’ai la gorge serrée. Je cherche désespérément de la main gauche tremblante de fatigue, le tube flexible qui me permettra de boire. Il faudra que je m’y prenne á plusieurs reprises avant de le trouver. Peu á peu je reprends une respiration normale.

Je n’ai vu personne depuis un long moment. Je doute être sur la bonne piste. Ce n’est pas bien grave pour l’instant car je suis sûr d’être dans la bonne direction. Je profite d’une belle touffe d’herbe haute porteuse pour immobiliser la moto un instant. J’ai soif et mon Camel bak est vide. Je dois donc prendre de l’eau dans mon sac. J’entends un camion qui s’approche. Je remonte sur la moto et je repars aussitôt sur ce sable extrêmement mou. Le camion me rattrape imperceptiblement et je décide finalement de le laisser passer. Je m’écarte sur la gauche et soudain la moto s’immobilise, avalée par la terre. Je n’ai pas á descendre de la moto mais plutôt á me relever compte tenue que la selle se retrouve á la hauteur du sol.

J’essaye de la secouer en vain. Je n’ai plus d’eau et je suis á bout de forces. La voiture rouge qui m’a envoyé dans cette direction me rejoint bientôt, tractée par un camion. Ils avancent lentement et me font signe qu’ils ne peuvent pas s’arrêter. Ils me jettent néanmoins deux bouteilles d’eau fraîches. Eh oui les amis ! il y a un frigo dans les voitures.

Je m’installe sur le bord de la piste, adossé á mon sac. Le téléphone sonne. C’est Paris qui se préoccupe de mon arrêt prolongé. J’informe de mon état de santé excellent. J’attends juste un bon samaritain qui me sortira de ce trou. Paris accuse réception et m’indique que dans le pire des cas le camion balai se trouve á 80 kms en arrière, soit environ 4 heures d'attente. On m’indique aussi que je suis tout au plus á 6 kms du CP. Je demande alors si je peux envisager chercher de l’aide á pied jusque là bas. Paris me confirme qu’il n’est pas question de laisser un véhicule remonter á contre sens le parcours. Si je pars á pied, c’est sans retour.

Je vais donc attendre qu’un concurrent veuille bien s’arrêter pour m’aider. J’en verrais très peu et aucun ne s’arrêtera. Je suis presque convaincu que le gros du rallye passe de l’autre coté de la dune. Je vois de la poussière. Parfois j’entends des bruits lointains. Le soleil commence à tomber. Il fait moins chaud. Paradoxalement, je me sens extrêmement bien, seul sur cette piste alternative. J’ai encore de l’eau, des cigarettes et des barres de céréales. J’ai même de la musique car je viens de sortir pour la première fois mon Ipod de ma poche. Je pourrais considérer que je suis dans une situation critique, mais je préfère plutôt penser que je suis loin de tout souci sur cette plage immense. Certes, la mer est un peu loin, mais je m’endormirai sereinement sous des airs de musiques natives.

A SUIVRE …… mettez une petite coche si vous avez lu

20 - Seul dans les dunes (3)


Il est environ 15 heures lorsque je repars sous l’acclamation déchainée de la foule. Nous avons ensemble assisté á la détresse des concurrents devant franchir une cuvette de sable que les argentins appellent « Bayé ». Il me faut á mon tour franchir cet obstacle profond et j’ai un peu peur de faire mauvaise figure devant ces gens qui m’observent. Je mets alors mon ego en veilleuse pour me concentrer sur le pilotage. Je m’affranchis avec les honneurs. Finalement c’était moins difficile que cela ne paraissait.

Me voila seul sur cette piste de sable fin. Il y a longtemps que le dernier motard est passé. Pour me consoler et inconsciemment pour me rassurer, je me persuade qu’il y a encore une belle brochette de voitures et de camions derrière moi. J’arrive alors devant une dune immense. En mer au milieu d’une tempête, on croit toujours que la vague gigantesque que l’on a dévalé sera la plus haute. Toutes les autres á venir devraient normalement être plus petites. Il n’en est rien. Il y a toujours une vague encore plus grosse. Ici, c’est une dune qui me met dans la même situation affective. Tous ces miles parcourus en mer et ces dizaines de tempêtes essuyées m’ont aguerri. La dune est là et il faut la franchir. C’est une fatalité que j’accepte. Cependant, j’observe que cette dune est prolongée par d’eux autres plus petites sur la gauche. Il me suffirait de gravir la première, puis de me rendre au sommet de la seconde pour finalement rattraper le flanc descendant de cette dune qui me parait tellement haute. Cette option me convient d’autant plus que je suis encore sous le coup de la panne électrique. La moto avance. Certes. Mais la moindre surtension pourrait tout faire brûler compte tenue qu’un vulgaire fil de fer remplace le fusible principal. De cette manière je pourrais soulager le régime moteur et me retrouver de l’autre côté avec douceur. Je ne me préoccupe même plus des instruments de navigation car de toute manière ils ne fonctionnent plus. Nous n’avons pas pris le risque en effet de faire un pontage sur les circuits alternatifs car les instruments auraient forcément été endommagés en cas de surtension.

Me voilà au sommet de la première des trois dunes, puis quelques minutes plus tard je me retrouve sur la deuxième. La descente vers le pied de la troisième dune se passe difficilement. Le sable est vraiment très mou. Le flanc est orienté au sud et le sable a été exposé au soleil bien plus longtemps. Malgré l’inclinaison il faut que je pousse sur mes jambes. Je suis en travers de la pente et je ne suis pas un Dahu. Mes efforts sont désordonnés. La souplesse trop affirmée de la fourche ne m’aide pas. La suspension avant s’écrase et je lutte pour garder la roue avant dans l’axe. Finalement j’arrive au pied de la dune où je découvre une famille installée sur des chaises de camping. Je m’arrête pour boire et boire encore tout le liquide que l’on me tend. Tout le monde veut être pris en photo avec la moto.

Comment se peut il que ces gens soient arrivés jusqu’ici dans une ambiance de piquenique avec un véhicule familiale alors que je dois m’efforcer sur ma machine spécialement conçue pour ce genre de terrain ?. Je ne cesse de me poser la question. Suis-je si nul que ça ?. Le chef de famille, amusé de ma préoccupation, m’expliquera qu’un sentier arrivant de l’est les a conduits jusqu’ici. Ils sont arrivés la veille au soir lorsque le sable était encore ferme. Ils repartiront tard dans la soirée dans les mêmes conditions, sur cette piste qu’ils auront de surcroîts été les seuls á emprunter. Le gars travaille sur une exploitation dans le coin. Il connait parfaitement son affaire.
Cela me rappelle une histoire de Dakar où un pilote moto commentait qu’il s’était retrouvé planté dans une dune en Mauritanie. Un bédouin en babouche chevauchant une veille mobylette Motobécane, les « bleues » comme ont les appelait á l’époque, est arrivé á sa hauteur pour lui demander s’il avait besoin d’aide. Cette situation surréaliste est tout á fait possible, croyez moi.


A SUIVRE

19 - Seul dans les dunes (2)


La moto est immobilisée á 2 mètres de la piste au pied de la dune. Les véhicules qui arrivent en haut de la dune n’ont aucune chance de pouvoir modifier leur trajectoire dans la descente. Lorsque le premier camion passe á un mètre de la moto, je me hâte de la déplacer hors de portée.
Il n’est pas nécessaire d’être un expert en mécanique pour comprendre que le problème est d’origine électrique. Il faut que je démonte les réservoirs et le carénage pour accéder au faisceau. C’est alors que je me rends compte que je n’ai plus ma clé tube de 13, seul outil utilisable pour démonter les réservoirs. Malgré les recommandations du team manager les jours précédents, j’avais attaché cette clé sur le support en aluminium du road book avec deux petits élastiques. Les élastiques sont toujours là, mais la clé a disparu.
Une grande dune devant moi masque l’horizon. Elle se trouve á environ un petit kilomètre. De ma position je peux voir qu’il y a des spectateurs postés au sommet. Alors que j’envisage d’aller á leur rencontre, trois hommes venus de nulle part m’interpellent en me proposant leur aide. Je me rapproche d’eux pour leur expliquer que je n’ai plus d’outil pour pouvoir démonter ma moto. Ils enjambent alors la clôture et immédiatement saisissent ma moto pour la déplacer de l’autre côté de cette même clôture.
Nous nous présentons. L’un d’eux se nomme Christian. Il est le fils du propriétaire du terrain sur lequel je suis tombé en panne, et coïncidence absolument incroyable, il est responsable des ventes chez YAMAHA Argentine. Ma chance ne s’arrête pas là. Son camion Yamaha achalandé d’outillage est garé á environ 2 kilomètres. Spontanément, il m’annonce qu’il part á la recherche des outils. Une heure passe et le voila déjà de retour. La réparation ne durera que quelques minutes.
Quelle frustration mes amis ! J’aurais perdu au total deux heures pour un réparation mineure. Je ne peux partir ainsi sans les remercier en accédant á leur invitation de les rejoindre en haut de cette immense dune où le reste de sa famille est réunie. J’enfourche donc la Yam ronronnant et je part au devant d’eux. L’accueil est chaleureux. Des dizaines de spectateurs veulent connaitre la raison de mon arrêt qu’ils ont observé de loin. Tous veulent m’offrir á boire.
Devant cet attroupement inattendu au milieu d’une spéciale, l’hélicoptère de l’armée transportant les journalistes se pose á une centaine de mètres. Pour un peu on se croirait dans un film de la guerre du Vietnam. Jean Michel, journaliste de son état se précipite suivi d’un caméraman. Il est avide de saisir cet instant et il m’interroge. C’est alors que le caméraman annonce que la batterie est hors service. Frustré de cet incident, il partagera malgré tout un verre de boisson gazeuse et un sandwich avec nos amphitryons.
Il faut maintenant que je reparte. Il me reste une centaine de kilomètres avant la fin de la spéciale suivie de 600 kms de liaison pour rejoindre le bivouac.

A SUIVRE