vendredi 20 février 2009

18 - Seul dans les dunes


La deuxième spéciale débute directement depuis le bivouac de Santa Rosa. Il est 5 heures du matin et Gilles Tixador vient de me pincer le gros orteil. Il en fera une habitude chaque jour jusqu’au retour á Buenos Aires. Il faut dire que je ne suis pas matinal. J’éprouve même une satisfaction vicieuse á me réveiller pour prendre conscience de ma deuxième tranche de sommeil á venir. Ors, sur le rallye je n’ai aucune difficulté á sortir de mon sac de couchage. La veille j’avais préparé mes affaires selon les instructions maternelles de Gilles. J’enfile mon pantalon et mes bottes. J’entends les premières motos démarrer mais je traine car mon heure de départ n’intervient que dans une petite heure.

Le rythme de la course s’est déjà imposé. Je démarre la moto une première fois pour m’assurer qu’elle fonctionne avant que le camion et les deux 4x4 d’assistance ne partent rejoindre le bivouac suivant. Tout va bien et je regarde les véhicules s’éloigner.
Les mécaniciens sur un Dakar dorment très peu et surtout très mal. Ils partent en général entre 4 et 5 heures du matin après avoir travaillé toute la nuit sur les motos. C’est seulement après s’être installé dans leur siège baquet qu’ils pourront chercher le sommeil, le coup tordu et le corps tout entier subissant les secousses de la piste. Cette torture dure toute la journée. Ils arrivent en général au bivouac dans l’après midi. Si un mécano a la chance d’être associé á un bourricot comme votre serviteur, il aura alors la possibilité de faire une belle sieste, de prendre une bonne douche et de trainer au réfectoire. En revanche, s’il est chargé de la moto d’un cheval de course, il devra céder ces privilèges au pilote.

Il est 6 heures. J’enfourche la Yamaha et je prends la direction du départ en me faufilant au milieu du campement en pleine effervescence. Je retrouve Stéphane avec qui j’ai le temps d’échanger quelques mots avant que le juge ne me fasse signe de m’avancer. Une feuille de course glissée dans la poche, une tape sur l’épaule et me voila parti pour la deuxième spéciale longue de 270 kms á travers la Pampa.
La piste sablonneuse traverse plusieurs zones habitées. Le road book indique une alternance de DZ et de fin de DZ sur plusieurs kilomètres. Je me rend compte, moi le rebelle des limitations de vitesses et consommateur compulsif des points du permis, que même ici je vais surement encore me prendre un ticket. Il faut en effet beaucoup de concentration pour ne pas dépasser les 50 km/h.
Au bout d’un quart d’heure Stéphane Charlier, parti 1 minute pares moi, me rattrape. Je me colle á sa roue pour éviter la poussière. Il est rapide et alerte ce Belge, mais je me concentre désormais sur le pilotage pour maintenir le rythme, négligeant totalement la navigation. Cela fait une bonne heure que nous roulons ainsi. Nous rattrapons même quelques motos. Soudain Stéphane freine puis amorce un virage serré á 90 degrés sur la gauche. Je n’ai pas réagi et je m’offre un tout droit, essayant désespérément de freiner pour ne pas m’empaler dans les clôtures. Je couche la moto qui glisse et s’immobilise sous le fil d’acier. Stéphane est déjà hors de vue lorsque je me retrouve de nouveau assis sur la selle. N’ayant pas actualisé mon road book depuis plusieurs dizaines de kilomètres, je dois avant de redémarrer retrouver ce maudit virage á 90 degré et me recaler dessus.

Je continue donc seul et je sens bien que je vais moins vite. Mon lièvre s’est échappé et je reprends mon rythme de hippie globe trotter. La piste a désormais disparue et je me retrouve au milieu de la Pampa rempli de doute. Suis-je dans la bonne direction ? Il n’y a pas de trace au sol car l’herbe sèche ne marque pas. Peu á peu mon instinct de pilote d’avion et de marin refait surface. C’est forcément par là me dis-je. Alors j’avance tranquillement pour ne pas me laisser distraire par les traitrises du terrain. C’est seulement après avoir retrouvé une piste bien tracée que je remets un peu plus de gaz. Je gravis une dune et au moment d’entamer la descente vertigineuse, la moto cale. Inévitablement je m’offre ma deuxième chute de la journée. Je suis tres surpris car il ne me semble pas avoir commis de faute. Je redresse la moto avec beaucoup d’effort sur cette pente abrupte, et elle m’entraine vers le bas. J’actionne le démarreur mais rien ne se passe, même pas un petit signe de vie. Je viens de me rendre compte que je n’ai plus d’électricité sur la moto. J’enlève alors mon casque, mes gants et ma veste, pour m’allumer une cigarette bien méritée.


A SUIVRE

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